Critique par Louis Guichard
Pour évoquer les agressions sexuelles commises contre des enfants dans le diocèse de Lyon, François Ozon avait mis en veilleuse un moteur essentiel de son cinéma : le désir. Dans Grâce à Dieu (2018), il ne s’agissait plus que d’un penchant maladif, destructeur. Au contraire, ce film redonne aux élans amoureux toute leur complexité, et, entre autres, leur lumière. L’été de ses 16 ans, Alexis est sauvé de la noyade par un autre adolescent, David, plus aguerri que lui en toute chose. Ils ne se quitteront plus pendant quelques jours, soudain passionnément épris l’un de l’autre.
Qu’ils soient deux garçons n’est pas le sujet du film, ni celui du roman adapté — La Danse du coucou, d’Aidan Chambers, paru en 1982. Cette liberté détonante, a fortiori pour la France d’il y a trente-cinq ans, inscrit le récit dans une réalité incertaine, où l’imaginaire et le fantasme s’invitent sans s’annoncer. Car Alexis, le personnage central, qui traverse les émotions les plus fortes, est celui qui raconte, en ménageant le suspense. Comment il s’est retrouvé dans le lit de David et employé dans la boutique tenue par la mère de son amant. Comment la jalousie l’a envahi. Comment l’idylle a viré au drame… La mémoire fragmentée de ce narrateur nourrit aussi une réflexion sur la manière de raconter les histoires, après d’autres films du cinéaste, comme Frantz et Dans la maison.
Mais la veine théorique demeure légère chez François Ozon. Les personnages comptent d’abord et avant tout, plongés dans le grand bain des premières fois. Même si une ironie et une nostalgie kitsch affleurent, Été 85 déploie un implacable récit d’initiation sentimentale. Où le héros débutant apprend, à ses dépens, qu’il a « inventé » en grande partie l’objet de son amour. Et où l’ennui, ce monstre inattendu, se loge au cœur de la plus belle romance… À l’épreuve de ce mélange de cruauté et de tendresse amusée, les jeunes acteurs, Félix Lefebvre et Benjamin Voisin, rayonnent. D’autant qu’ils sont couvés des yeux par deux anciens grands amoureux du cinéma français : Valeria Bruni Tedeschi (la mère de David) et Melvil Poupaud (le prof de français d’Alexis), drôles et émouvants.
« Le plus important, c’est d’échapper à son histoire », entend-on à la fin. Voilà une belle devise mystérieuse qui convient tant au film qu’au cinéaste, jamais vraiment là où on le croit. Puisqu’Ozon avait à peu près l’âge de ses personnages en 1985, la piste autobiographique s’imposait a priori, mais le résultat tient plutôt du thriller psychologique sophistiqué. Ce qui n’empêche pas la présence de motifs prisés par l’auteur (la mer dangereuse, le cimetière profané, le travestissement...) et une façon personnelle, intime, de ressusciter l’époque. Combinant ainsi les charmes de la fiction débridée et ceux du recueil de souvenirs, Été 85 est à la fois imprévisible et planant, toujours plus retors que prévu sous sa surface scintillante.